Je vous partage ci-dessous un texte (un peu long) et très personnel que j’ai écrit à mon retour de Mammennoù Dour 2025.
Pourtant impliquée dans l’organisation, d’un peu plus loin cette année, je n’avais pas prévu de venir vraiment marcher cette semaine-là. Une histoires de choses à faire, des mails à gérer, d’agenda bien chargé, de rendez-vous à honorer. Donc pour cette année, gérer les inscriptions derrière mon écran d’ordinateur m’allait très bien.
Mais ça, c’était sans compter sur Mammennoù Dour.
Si moi, je ne n’avais pas inscrit cette marche à mon agenda, cette marche, elle, m’avait convoquée.
Jeudi 22 mai 2025 – Pointe du Kastel Ac’h – Lilia – Plouguerneau. C’est fou comme parfois la magie a un coté très très concret.
J’ai eu le message de la grève de l’école de mon fils quelques jours avant. Alors c’est devenu une certitude, j’allais finalement l’embarquer, et nous irions marcher jeudi. C’est donc ainsi que le jeudi matin, nous étions à l’heure au rendez-vous avec sacs & chaussures, gourdes & crème solaire. Je ne sais pas si nous étions vraiment prêt et prête, mais nous étions là.
Nous avons rejoins le groupe. Salué les visages connus, ceux moins connus et les nouveaux venus. Nous étions un certain nombre à être au rendez-vous ce jeudi là.
Nous sommes allés nous rassembler sur ce rocher, assis par terre. Face aux éléments.
Elles ont chanté.
Nous avons nommé, déposé nos intentions pour cette marche.
Salué l’eau aussi. Joyeuse.
Puis nous avons pris la route, suivi la plage, puis le sentier.
J’aurais du mal à nommer la chronologie exacte des évènements. Mais il m’en reste la joie, la marche, les gâteaux pour les enfants, les chaussures qu’on enlève et qu’on remets, parfois, ou pas avec ou sans les chaussettes, les chamailleries sur le chemin mais surtout la joie discrète et pourtant immense de se retrouver.
Il me reste les mots échangés sur le chemin, le cercle dans le sable, les petits cailloux.
Il me reste les mots en breton, ceux qui restent et ceux qui filent.
Il me reste les rendez-vous presque à l’heure, les rendez-vous manqués, et ceux arrivés alors qu’on ne les attendaient pas.
Les présentations techniques, les machines, les enfants qui goûtent les algues et le reste aussi. Les prélèvements sur « le milieu ». Les arbres tombés. Les mots échangés, techniques, comme les réunions du comité local. Ce qui se dit. Ce qui ne se dit pas. Celles et ceux qu’on devine. Parfois.
Et puis le chemin qui nous rassemble. Nous avons repris la route. Ensemble.
Parfois la route, parfois la plage, le sentier ou les rochers. Chacun.e a choisi son chemin, mais nous avons tous et toutes fini pas nous trouver, nous retrouver.
Se poser et déposer au sol, ensemble.
Avec ou sans les mots.
Autour du goûter, des boissons, des gâteaux et de l’écriture. Les aléas des départs et des arrivées tout au long du chemin. Le ballet des voitures qui sillonnent la campagne pour apporter, qui le goûter, qui la vaisselle, qui les assiettes, les toilettes sèches, les sacs et les abris de nuit, les duvets plus chauds, les pulls et les plaids.
Se quitter le soir. Se retrouver le lendemain alors que là non plus ce n’était pas prévu, mais l’appel était trop fort. Mon fils a lui aussi senti sa place dans ce groupe. C’est si précieux en tant que parent dans ce monde. Une place pour les enfants. L’apaisement.
Se retrouver et reprendre à la route ensemble.
Accepter de voir, d’entendre et de sentir le déchirement des arbres qu’on broie devant nous. Douleur. Mais avancer tout de même. Folie humaine certainement.
Continuer. Poursuivre malgré tout. Un pas après l’autre.
Avancer jusqu’à la beauté infinie d’un lieu. Sensible. Point de rencontre des 3 rivières.
Se connecter au groupe. Effervescence, ébullition, éclaboussures. Apprentissages. Camouflages, panique à bord. Intensité & fatigue aussi.
Reprendre encore une fois la route. Rencontrer. Des histoires de vie presque dites. Les mots dissimulés derrière les techniques rassurantes, chiffres à l’appui pour prouver que ça marche.
Partager le repas.
Gratitude pour celles qui ont cuisiné nuit & jour pour soutenir la logistique de ce chemin. Invisibles travailleuses comme trop souvent.
Reprendre la route. Les fontaines qui demandent. Les bouts de routes, les s.entiers. Jouer à observer, à re-sentir le chemin aussi. Voir avec les yeux des autres. Sentir encore.
Puis marcher le long de l’Aber sur les cailloux à côté et parfois carrément dans la vase, les pieds dans la boue, la boue partout.
Jouer à voir les signes de ceux qui sont passés avant nous. Essayer de traverser les chemins qui n’en sont plus vraiment. Se retrouver. Repartir. Ramasser les déchets aussi.
Aller plus loin que ce qu’on pensait. Plus tard aussi.
Puis remonter enfin.
Trouver une voiture pour reprendre la marche du temps qui a filé en notre absence. Quand nous étions hors du temps, ou exactement dedans ? On ne sait plus vraiment.
Reprendre le rythme, ou le laisser s’arrêter près de la chapelle ? C’est au choix.
Cette danse du partir/revenir a duré tout au long des 4 journées.
Jusqu’à se retrouver pour fêter ensemble les sources au Drennec.
Ouvrir le cercle. Accueillir. Les mots. Les idées. Les sensations. Le vécu de chacun.e. Le regard humide de ceux qui ne parlent pas. Ceux que je connais trop bien. Solides comme des rocs, ceux pour qui être en cercle relève presque de la fiction. Parler c’est sûrement trop. Être là, c’est déjà immense.
Arrivés, repartis, revenus, ensemble pour un temps, ou pour un peu plus.
Nous avons fait un bout de chemin ensemble.
Ce qu’il me reste est immense.
Un cadeau que je n’avais pas prévu.
Je ne doutais pas de la sagesse du chemin, des chaussures, des sacs à dos chargés de chips trop fragiles, mais je ne me doutais pas du puissant retentissement qu’il aurait dans ma vie.
J’ai fini par pleurer. Pleurer tout « ça ».
Il me reste la joie immense des bras accueillants, connus ou moins connus, pour accueillir les larmes et me rassembler.
Après tout ça, j’ai mis du temps à rentrer « vraiment ». Je ne suis pas sûre de bien mesurer factuellement ce qui s’est passé pour moi. Je n’ai ni la technique, ni les chiffres à l’appui, pas de comité local de dialogue non plus. Je ne sais pas exactement nommer ce qui s’est passé le long de l’Aber Wrac’h pour moi, mais « ça » a bougé.
Il me reste la joie infinie du chemin parcouru ensemble aussi beau et imparfait qu’il puisse être.
Alors merci pour tout « ça ».