Lors d’une médiation, c’est probablement au moment de la recherche de solutions – après l’exploration du quoi (l’objet du différend) et du pourquoi (les causes du différend) – dans une phase de créativité, que la réalisation de croquis est la plus utile à la résolution du conflit.
La facilitation graphique, c’est quoi ?
La facilitation graphique est une méthode visuelle qui permet d’accompagner un processus de communication. Elle peut être utilisée lors d’une conférence (on parlera alors de « graphic recording »), d’une séance de travail en groupe ou en individuel.
La facilitation graphique apporte un support tiers au processus de communication: une feuille ou un tableau sur lequel on peut matérialiser ce que l’on dit avec des formes très simples (ces fameux gribouillis que vous faites dans un coin de la page lorsque vous cherchez à comprendre ou à expliquer quelque chose). La facilitation graphique permet de structurer ces visuels. Elle offre plusieurs avantages : on capte mieux l’attention des interlocuteurs et la compréhension est facilitée.
Représentation visuelle du circuit de la communication proposée par Nicolas Gros,facilitateur graphique chez Wild is the Game.
Pourquoi c’est utile en médiation ?
– Pour distinguer l’adversaire du problème
Le tableau (ou la feuille) sur lequel on réalise le croquis remplit à sa manière une fonction de « médiateur » en permettant une mise à distance et en évitant une confrontation directe entre les personnes. Il permet en effet de projeter le conflit sur un support et de faire de son adversaire un « partenaire » qui va aider à présenter le problème à résoudre.
– Pour stimuler la créativité et inventer de nouvelles solutions
Dans le cadre de ce que Dan Roam (auteur de « Convaincre en deux coups de crayons » – voir plus bas – dont nous faisons partager ici plusieurs concepts) nomme processus de pensée visuelle, il existe plusieurs étapes successives :
Regarder = on observe le conflit dans sa globalité, la situation entière
Voir = on sélectionne le nœud du problème et on l’identifie
Imaginer = on imagine différentes façons possibles de le résoudre
Montrer = on propose la solution
Le croquis est idéal pour imaginer, c’est à dire pour – selon la belle formule de Dan Roam – « voir ce qui n’est pas là ».
Il existe également plusieurs outils qui permettent de stimuler cette technique créative dans la médiation : l’utilisation de métaphores visuelles, de schémas contextuels, les représentations schématiques, etc.
– Pour représenter les non-dits
Le croquis offre une puissance d’évocation souvent supérieure à la parole. Il comporte des indices pré-cognitifs (proximité, couleur, taille, orientation, direction, forme, ombres) et s’adresse aux deux hémisphères du cerveau. Notre système visuel prend déjà en charge automatiquement et sans pensée consciente l’orientation, la position, l’identification et la direction. Ainsi l’usage des croquis ne demande pas plus d’effort au cerveau pour accéder à la compréhension : il accélère le processus!
Le croquis permet de montrer des choses que la parole ne permet pas nécessairement de se représenter immédiatement. La part de subjectivité d’un croquis donne des informations sur la perception d’un problème par celui qui le formule (ex. la taille d’un objet, l’éloignement de celui-ci par rapport à un autre, etc.).
– Pour se fixer des objectifs
Le croquis permet enfin d’impliquer les parties dans la définition des objectifs. (Un croquis permet de représenter, par exemple, un objectif SMART : spécifique, mesurable, atteignable, réalisable, temporairement défini).
Le croquis aide à présenter efficacement les différentes questions formulées par le rhéteur grec Hermagoras de Temnos et transmises par Saint-Augustin : « Quis, Quid, Ubi, Quibus auxiliis, Cur, Quomodo, Quando » (Qui, Quoi, Où, Avec quoi, Pourquoi , Comment, Quand, en latin) qui définissent les « circonstances » (étymologiquement : autour de) d’une situation.
La version, actualisée, de cet outil est devenue, en français, « Qui, Quoi, Où, Quand, Comment, Combien, Pourquoi ? », formule (magique !) résumée ainsi : QQOQCCP.
Il existe des outils simples et accessibles à tous pour représenter graphiquement le « qui/quoi » (portait), le « où » (carte), le « quand » (chronologie), le « comment » (logigramme), le « combien » (diagramme) et le « pourquoi » (graphique à plusieurs variables). On consultera avec profit sur ce thème, le livre de Dan Roam, convaincre en 2 cours de crayon, Esf éditeur, 2013.
« Oui, mais je ne sais pas dessiner ! »
Selon Dan Roam, plusieurs attitudes sont spontanément constatées face au croquis. L’auteur les appelle schématiquement ainsi : stylo noir (« donnez-moi le crayon »), stylo jaune (« je ne sais pas dessiner mais… »), stylo rouge (« je ne suis pas quelqu’un de visuel »).
Or il n’est pas besoin d’être un bon dessinateur pour utiliser la facilitation graphique. N’importe qui peut le faire ! Souvent, des personnes qui se disent mauvais dessinateurs (ils savaient pourtant dessiner en maternelle…) sont parfaitement en mesure d’utiliser le croquis pour résoudre un problème. Les formes de base (un simple rond en écrivant ce qu’il y a à l’intérieur) peuvent faire l’affaire pour commencer.
« C’est trop simple, le droit c’est compliqué ! »
Les avocats, habitués à une certaines complexité, seront peut-être sceptiques face à des solutions simples en apparence. La facilitation graphique est pourtant un outil d’une redoutable efficacité pour venir à bout de problèmes complexes et trouvera, à n’en pas douter, toute sa place en médiation. D’ailleurs, le travail des avocats, des médiateurs et des facilitateurs graphiques nécessite souvent de savoir décomposer une situation en éléments simples.
Comment ça se passe en pratique ?
Si la facilitation graphique trouve naturellement sa place dans la phase de créativité (« le comment »), elle peut cependant intervenir à toutes les étapes de la médiation.
Il existe des outils en ligne, mais vous avez certainement dans votre bureau des outils d’une puissance insoupçonnée : une feuille de papier et des crayons. Mettez-les à profit !
Julie Boiveau, facilitatrice graphique & Jérôme Dupré, médiateur